L’IFGT perd son président Qui était Jean Broustra, président de l’IFGT depuis ...1988 ?

, par Michel Dominique

Nous avons appris avec une grande tristesse le décès, survenu le 1er avril 2021, de Jean Broustra, figure tutélaire de l’IFGT depuis sa création...

Sa biographie très résumée

Jean Broustra est né en 1940 sur l’île d’Oléron. Il fait ses études à Libourne et à Bordeaux. Sa formation est littéraire et scientifique.
Il participe à des coupes d’éloquence et compose un poème épique : Ode à la Garonne .
A partir de 1957, il est étudiant en médecine à Bordeaux. Il cofonde un journal littéraire : La Roue à aubes qui aura trois numéros
Après l’internat (1996), il s’oriente vers la neuropsychiatrie.
En 1970, il est docteur en médecine, et chef de la clinique à l’université de Bordeaux-II. Il met en place au centre hospitalier spécialisé Charles-Perrens des ateliers thérapeutiques d’expression
En 1974, il fonde l’Irae (Institut de recherche animation expression) avec J.-M. Robine et G. Lafargue.
Il devient chef de service de psychiatrie adulte à Libourne en 1978.
Il commence à publier des articles concernant le surréalisme dont Osiris est un dieu noir , dans la revue Évolution psychiatrique , 1979
Il participe à l’agitation du festival Sigma à Bordeaux, en s’associant à Ph. Bordier et J.-P. Bouyxou.
En 1980, il devient membre du premier CA de l’IFGT.
En 1983 : performance, Toi psychiatre et ton corps, puis publication. Mini scandale.
En 1984 : il est président de l’Adaec/Atelier de l’art cru
En 1988 : il est élu président de l’Institut français de gestalt-thérapie.
En 2000 : il est membre du Cercle freudien
En 2004 : il devient président de l’association Appel d’air
Il cesse, en 2005, ses activités médicales, se consacre à la formation en expression et à l’écriture.

Et pour le connaître davantage, il faut le lire ...
il est l’auteur de plusieurs essais sur l’expression, dont l’excellent Abécédaire de l’expression (Erès, 2000) et de plusieurs romans, et autobiographies poétiques.

Ses oeuvres

  • Les Schizophrènes , éditions universitaires J.P. Delarge , 1978
  • Le Bain de midi , La presqu’île , 1994
  • L’Expression créatrice , avec Guy Lafargue, Essentialis, Morrisset , 1995
  • Salines , La presqu’île , 1996
  • L’Expression : psychothérapie et création , ESF , 1996
  • L’Abécédaire de l’expression, psychiatrie et activité créatrice : l’atelier intérieur, Erès , 2000
  • Toi, psychiatre et ton corps , peintures de Jean Lascoumes, L’exprimerie , 2000
  • La Vie rhizome , Le Bord de l’eau , 2002
  • Arts, littérature et langage du corps , vol. 1. Le corps, la structure : sémiotique et mise en scène , en collaboration avec Jean-Michel Devésa, Pierre Bourgeade, Maryann De Julio et al, Pleine page , 2004
  • L’homme promenade , Confluences , 2006 Prix littéraire Charles Brisset , 2006
  • Traité du bas de l’être , Erès , octobre 2010
  • Le guetteur d’hirondelles, Vents salés, 2017
  • Psychoses et langages, Scènes psychothérapiques du dire, Harmattan, 2018
  • Détestation de mots, mots intrigants et quelques amours, Harmattan, 2020

Ci-dessous Jean Broustra présente son livre le Traité du bas de l’être à la librairie Georges, en mars 2011... rencontre animée par Gabriel Okoundji


Une très longue amitié

Jean-Marie Robine

J’ai jeté la boîte d’épinards...

Dans notre intimité avec Jean et Jacqueline Broustra, il y avait, depuis 40 ans peut-être, une boîte d’épinards.
Certes, pas toujours la même ! Tous les 10 ou 15 ans, elle devenait trop bombée et menaçait d’exploser, à l’instar de toutes les relations, et il fallait donc la renouveler.
Je crois qu’à l’origine, ça avait été une initiative de Jacqueline : après quelques années d’amitié et de bonnes bouffes conjointes, toujours s’apporter mutuellement des fleurs ou une bouteille de vin manquait cruellement de créativité. Alors, peut-être Olive, inspirée par son Popeye de mari, décida-t-elle de décaler le rituel et d’apporter sous un somptueux emballage une boîte de conserve d’épinards. Le pinard sans eux, dirait le lacanien de service…
Et je l’ai institué en rituel de substitution (comme c’est le cas de tout rituel) puisqu’à l’occasion de nos agapes suivantes, je leur ai offert leur boîte d’épinards et qu’elle a ensuite circulé entre nous pendant maintes années, nous permettant en outre, bénéfice secondaire, de savoir « à-qui-c’est-le tour-d’inviter » ?
Jacqueline le 16 Janvier, Jean le 1° Avril…
Je me mets à détester les épinards en boîte. Je jette la boîte.

Depuis mes 15-16 ans, je suis dans le mouvement appelé « expression ». D’abord dans les mouvements de jeunesse, cet outil pédagogique d’animation et de créativité me passionne et, avec un ami, je crée un programme et une première revue sur ce thème intitulée : « La main ouverte », ronéotée grâce aux stencils, ancêtres de la photocopie ou des PDF de l’informatique encore à l’état larvaire… Peu à peu, avec l’entrée en fac de psycho, des possibilités d’intersection commencent à s’entrevoir entre ce monde de l’expression, celui de la dynamique des groupes rétinienne et du psychodrame auxquels je me forme, celui de la psychothérapie que je commence à entrevoir grâce à la découverte de Carl Rogers, par l’intermédiaire de Max Pages…
Et sur les bancs de la fac, je sympathise avec Guy Lafargue, et nos centres d’intérêt convergent rapidement. Il est un peu plus avancé que moi dans ses études, un peu plus assuré aussi, au point que je lui demande d’animer un des stages qu’on m’avait demandés et pour lequel je ne me sentais pas prêt… et le voilà parti dans l’animation des stages d’expression !
Peu de temps après, il pénètre le monde psychiatrique au centre Carrère de l’Hôpital Charles Perrens de Bordeaux, où il rencontre Jean Broustra.
Et quelque mois plus tard, au début des années 70, notre triumvirat auquel s’associent quelques autres, parfois brièvement, parfois plus longuement, fonde l’IRAE, Institut de Recherche-Animation Expression. Nous organisons des séminaires, expérimentaux, créatifs (pour ne pas dire fous), comme on pouvait se le permettre dans les années post soixante-huitardes…
Et l’organisation de colloques dans les locaux à l’entrepôt Lainé, parfois en collaboration avec ce qui allait devenir le CAPC (Centre d’Arts Plastiques Contemporains) dont j’étais un des membres du bureau depuis sa fondation. C’est ainsi que nous avons ensemble festoyé et travaillé avec Steve Waring, Joan La Barbara, Jean-Luc Parent, Jean Bolcato (du workshop de Jazz de Lyon avec Louis Sclavis), Guy Lenoir et son théâtre, Noemie Perugia, Sombre Reptile, les joueurs de Ken du Laos, les membres du Bataclown qui y ont fait leurs premiers pas de clown-analyse, et bien d’autres encore...
Sans évoquer les nombreux psy de toutes orientations venus contribuer à l’élaboration naissante d’une théorie de l’expression…
Peu à peu se structure une formation d’animateurs-thérapeutes d’ateliers d’expression. Pendant cette période, je me formai parallèlement à la gestalt-thérapie, y animai mes premiers groupes de gestalt-thérapie après m’être éloigné de la pratique du psychodrame. À tel point que mes amis de l’IRAE, trouvant que la gestalt-thérapie commençait à prendre un peu trop de place au sein de l’IRAE, m’ont gentiment prié de créer une structure spécifique pour les activités de gestalt-thérapie. Et c’est ainsi que l’Institut s’est créé au 1° mai 1980.
J’ai donc pris peu à peu de plus en plus de distance par rapport à l’IRAE, non par désintérêt mais par absorption par la gestalt-thérapie, et ai de plus en plus réduit ma présence à une participation à certains colloques. L’IRAE avait explosé, donné naissance aux Ateliers de l’Art Cru qui devenait la structure de travail de Guy Lafargue qui se dotait d’une nouvelle équipe, et mon contact avec ce monde devenait plus distant.
Mais mon amitié avec Jean et Jacqueline se maintenait : de bonnes bouffes plusieurs fois par an, des discussions passionnées, la découverte de musiques ou de peintres, des ballades (y compris un voyage à New-York), des projets éditoriaux, des invitations mutuelles à des colloques, rencontres, débats puisque Jean, avec ses multiples casquettes Freudo-Lacano-phénoménologico-psychiatriques, pouvait se passionner avec nous et nos équipes à nos approches « différentes » : c’est ainsi par exemple que j’ai été invité pendant un certain temps à initier l’équipe de l’Hôpital Garderose de Libourne à l’approche familiale systémique.
Jean m’impressionnait beaucoup par l’étendue de sa culture littéraire, la mémoire qu’il en avait et sa capacité à exhumer des citations appropriées, la créativité dans les formes qu’il pouvait donner à ses écrits, études, romans, théâtre, poésie…
Je l’ai toujours vu fidèle dans ses amitiés et dans ses liens, mais blessé lorsqu’il se sentait trahi, abandonné ou rejeté, comme si cela lui était incompréhensible…
Et depuis sa fondation en 1980, présent au conseil d’administration de l’IFGT, rapidement président et ce jusqu’à son décès, montrant ainsi son appréciation d’une approche qui n’était pourtant pas la sienne (Oh, ces débats passionnés sur certains concepts freudiens que je pouvais juger surannés !) mais surtout d’une amitié qui a duré… cinquante ans !
Ces épinards, on ne les a jamais mangés parce qu’on préfère les épinards frais…
mais ils nous ont fait un sale coup, ces deux-là, à quitter la scène presque ensemble, alors qu’il y avait tant à partager encore…


EmBroustrabarquée...dans une sacrée aventure

Sylvie Archambeau

Comment rendre hommage à Jean Broustra ?

L’affaire n’est pas simple, car l’homme a réalisé une véritable œuvre de sa vie… et il y a tant à dire.
Toutefois, une chose est sûre, Libourne est triste… et l’atelier Colimason, au dernier étage là-haut du bâtiment des consultations de l’hôpital Garderose a baissé son rideau ce soir pour dire au revoir à son fondateur.
Oui ! parce que Jean, nous le savons tous ici… ce fut le créateur inconditionnel d’une psychiatrie libre et humaniste, un clinicien de la psychose où je le cite « le sujet pris entre l’opacité des choses et la glaciation abstraite du discours peut s’engager dans sa capacité créatrice. »
Jean nous a réunis, sa force fut celle-ci, associée à sa conviction de constituer des équipes pluridisciplinaires, dans la continuité de Francis Jeanson, mais aussi sous l’inspiration de Jean Oury, Roger Gentis, François Tosquelles…
Créer des espaces où quelque chose puisse se produire, où s’éprouve la conquête d’espaces du dire. Et il s’en est produit des choses, nous en avons parcouru des kilomètres de collage, soulevé des kilos de colle et des pots de peinture, arpenté des mètres carrés de danse… et des heures de lectures et de paroles partagées.
Nous nous sommes retrouvé.e.s « emBroustrabarquées » dans une sacrée aventure…
Sa capacité inventive avec la psychiatrie est née dans les années 70 à l’hôpital Charles Perrens, associé à sa collaboration première avec le Dr Michel Demangeat, puis très vite de la rencontre fertile avec Guy Lafargue et de leur collaboration engagée au service des patients et de l’expression.
À cette aventure, se sont associés plus tard Jean-Marie Robine, puis Jeanine Chauvin.
L’IRAE, puis l’Art Cru, ont successivement vu le jour.
D’autres noms sont venus rejoindre cette pépinière active : Marc Guiraud, Françoise Quéheillard, Claude Sternis, Corinne Mascarro, puis Evelyne Bouchonnier… Des créations innovantes, puissantes, conduites avec une énergie insatiable, une force créatrice toujours en éveil, et un goût pour le combat sans relâche afin de permettre au sujet d’exprimer ce qui lui importe sans être soumis à la répression.
Ce mouvement désaliéniste dont Jean aimait à se revendiquer, il l’a porté avec énergie au sein de l’hôpital Garderose, dont il a été médecin chef de service de 1978 à 2005.
«  J’ai la chance de travailler , écrit-il en 1986, avec une équipe à qui je suis très redevable de l’évolution de ma réflexion. »
Nous pouvons aujourd’hui lui retourner ce compliment… nous avons eu beaucoup de chance de travailler avec lui.
Convoitée, enviée parfois, cette équipe des ateliers d’expression a fait couler beaucoup d’encre et de salive… Travailler dans le service de Jean Broustra était une véritable ambition professionnelle, des choix évidents pour de nombreux soignants.
À l’heure de l’ouverture de l’hôpital de Jour La Clé des Champs en 1985 ou du CATTP Sésame en 1992, il a toujours fédéré de nombreux soignants pour penser avec lui ce qui lui tenait particulièrement à cœur : l’articulation du soin, de la santé mentale, de la culture et des espaces sociaux.
Impossible de tous les nommer ici, mais à l’heure des ateliers, je pense de nouveau à Jeanine en tout premier lieu… puis à Danièle Artola, Liliane Marin, Jean-Michel Bernard, puis je pense à Dominique Deviers, Michel Senut, Cathy Castandet, Dominique Sarrazin, mais aussi Nadine Dubroca, Nicole Thort.
Dans cette énergie qui ambitionnait la place du patient au cœur de la Cité, nous avons ensemble, fondé l’Association Passage avec très vite le soutien indéfectible de Michel Chauvin pendant plus de 30 ans. Chacun se souviendra des séminaires, des colloques en partenariat avec la ville de Libourne, la médiathèque et nos expositions… Passage, maillon vital de nos engagements citoyens…
Plus que des collaborateurs de la première heure, nous étions des amis… Jeanine et moi, petites fourmis toujours prêtes à prendre notre valise pour aller sillonner la France, faire vivre l’expression dans des formations enjouées… mais aussi hors frontières. Les souvenirs de la Belgique sont des petites perles de mémoire… mais ceux de Suisse sous la bannière de l’art cru sont ancrés dans ma chair, depuis Lausanne jusqu’à Montreux en passant par Bex. Je sais aussi l’attachement de Jean pour Genève et ses liens forts avec Jacques Stitelmann.
J’ai toujours mesuré et aujourd’hui encore, la chance immense de cette expérience humaine, de cette association et les partages qui vont avec, cette fraternité…
Merci à Denis Pillette, au départ à la retraite de Jean, d’avoir engagé sa responsabilité médicale pour que les ateliers d’expression de Libourne poursuivent leur mission dans la continuité, et aujourd’hui encore avec Aurélie Naulet dans une passation active dont elle poursuit la vivance.
Le médecin psychiatre en avait sous le chapeau, toujours en recherche, jamais lassé de penser… l’écrivain avait aussi la plume alerte, facétieuse, Jean savait faire danser la langue… mais n’oublions pas l’artiste, l’inventeur des langages, « théoricien de la créativité, de l’expression et de la psychose ». Tel est l’hommage que lui rend Claude Sternis, son amie parisienne auprès de qui il a œuvré encore ces dernières années au sein de l’association Asphodèle.
Ces dernières années, bien qu’à la retraite depuis longtemps, Jean poursuivait son œuvre d’écriture… Il m’a encore récemment parlé d’un livre sur Hans Prinzhorn qu’il venait de terminer et dont il espérait la publication prochainement malgré la crise sanitaire que nous traversons.
Il a beaucoup soutenu Jacqueline, son épouse, dans ses derniers moments de dépendance… et jusqu’à l’an passé, nous nous réunissions encore chez eux afin de continuer à faire vivre le séminaire de TRAIT pour TRAIT, auquel il était particulièrement attaché et dont il avait pris la direction à la suite du décès de Michel Demangeat.
Nous y travaillions sur le Destin… et le jour de sa mort, j’ai pensé à cet intitulé : le destin ! … oui… partir un 1er Avril, franchement, Jean, ça vous ressemble tellement cette pirouette au destin, ce clin d’œil facétieux, un message pour que ça continue… comme l’écrivait en titre d’un article un de ses confrères et ami Pierre Delion, oui, pour que ça continue !
5 Avril 2021